Éditorial

« Oui, il est possible d’informer sur Snapchat et TikTok sans trahir la ligne éditoriale du Monde »

Présenter des sujets d’actualité en quelques minutes sans faire l’impasse sur la qualité, c’est le pari que fait quotidiennement la rédaction du Monde sur Snapchat et TikTok. Olivier Laffargue, chef du service en charge de ces deux plateformes au sein du quotidien, nous explique comment Le Monde parvient à s’appuyer sur le pouvoir des réseaux sociaux et de la vidéo pour formater l’actualité et toucher un large lectorat.

Le grand enjeu pour les médias aujourd’hui est d’arriver à toucher leur lectorat, à l’intéresser, et à le faire revenir. De votre point de vue, qu’est-ce qui fidélise un lecteur aujourd’hui ? Qu’est-ce qui suscite (et retient) son attention et l’envie de s’engager avec Le Monde : lire, commenter, s’abonner…

Mettre l’actualité à disposition des lecteurs là où ils sont, c’est tout l’objet de notre démarche sur les réseaux sociaux. Pour Snapchat et TikTok, le pari du journal est celui-ci : plus tôt les lecteurs nous lisent, plus grandes sont les chances qu’ils continuent à le faire plus tard. Il s’agit de développer la confiance et de mettre en avant la fiabilité de l’information du Monde. Le lien de cause à effet est difficile à affirmer, mais nous constatons ces derniers temps une hausse des abonnements chez les plus jeunes !

 

Si l’on considère les « nouvelles écritures » de façon plus globale, quels sont selon vous les formats les plus performants aujourd’hui ?

L’explosion du format vidéo est indéniable. Même les formats originaux créés récemment évoluent et tendent vers la vidéo. C’est le cas du Snapshow par exemple. On assiste aussi à un rebond du Live. Les plateformes comme Twitch rencontrent un succès grandissant. L’universalité de ce format vient des utilisateurs. Aujourd’hui, la consommation de l’actualité est passive. Les pushs en sont l’exemple le plus probant. Certaines personnes s’informent aujourd’hui essentiellement par ce levier. Les lecteurs attendent que l’information arrivent à eux. Si l’on veut continuer à informer largement, il faut aller là où les lecteurs sont et leur proposer des formats accessibles, répondant aux codes des plateformes.

 

Le choix d’un format est souvent la synthèse entre une ligne éditoriale, les attentes du lectorat et les outils à disposition. Comment les différents formats du Monde (site web, édition papier, réseaux sociaux, etc.) se répondent-ils aujourd’hui ?

Chaque format s’adresse à une audience particulière. Sur Snapchat et TikTok, la création de contenus propres nous permet d’aller chercher un public qui ne lit pas Le Monde sur le papier ou même le site internet. Sur Facebook, Instagram ou Twitter, Le Monde propose une valorisation des articles du site. Et ainsi de suite, en fonction des supports. Si elle reste cohérente dans sa globalité, la ligne éditoriale du journal peut évoluer en fonction des canaux de diffusion et de la place que l’on y donne aux sujets. Il ne faut pas croire que les jeunes ne s’intéressent qu’aux sujets positifs, aux faits divers ou au divertissement. Nous pouvons parler d’évasion fiscale ou des crises diplomatiques sur TikTok, Un sujet sur une jeune Syrienne qui racontait son quotidien a fait un tiers de plus de vues sur Snapchat que celui sur le braquage de Kim Kardashian à Paris, qui avait déjà eu une très bonne audience. Pour notre nouvelle formule sur cette même plateforme, notre dernier record avec plus de 700 000 lecteurs uniques a été atteint pour un sujet sur les mercenaires russes du groupe Wagner.

 

Snapchat et TikTok font la part belle aux formats courts. Comment dès lors y transmettre une information parfois complexe sans qu’elle ne perde en qualité ?

Il faut comprendre que nous adaptons le langage sans pour autant changer le fond. Sur Snapchat et TikTok, nous restons Le Monde, avec la même ligne éditoriale très factuelle et la même identité graphique. Il nous faut effectivement proposer des formats courts (sur TikTok, le format le plus efficace ne dure que 59 secondes). Pour cela, nous sélectionnons les informations et nous mettons en place une vraie réflexion sur l’angle du sujet. N’oublions pas que même vulgarisés, certains formats courts permettent de susciter l’intérêt et la curiosité. C’est déjà beaucoup ! Et parfois, si l’on voit que cela ne marche pas ou nous oblige à faire trop de concessions, nous pouvons aussi choisir de ne pas traiter tel ou tel sujet.

 

En décidant d’investir Snapchat il y a maintenant 5 ans, Le Monde souhaitait toucher une cible plus jeune et plus connectée. Il a dû complètement revoir ses formats éditoriaux. Pourriez-vous nous expliquer quels choix ont été faits à ce moment-là et pourquoi ?

Malgré sa volonté de s’adresser à tous, Le Monde n’était que peu (voire pas du tout) lu par les plus jeunes. Pour nous adresser à ce lectorat particulier, il a fallu nous adapter et aller à sa rencontre. Où sont les jeunes ? Que lisent-ils ? Sur quels supports ? Voici le point de départ de la démarche qui nous a conduit à investir Snapchat, puis TikTok. Se poser la question de la façon dont on s’informe aujourd’hui est aussi intéressante dans l’absolu pour le journal. C’est cela qui permet de nous adapter au monde qui nous entoure, et de faire infuser cette expérience dans tous les services en interne.

Sur Snapchat, notre ligne éditoriale est très explicative. Et bien que parfaitement intégré dans la rédaction du journal, notre service fonctionne en autonomie. C’est-à-dire que nous allons puiser les informations auprès des différents services du Monde pour leur donner une forme adaptée à Snapchat.

 

Vous avez récemment revu votre chaîne Snapchat pour la faire évoluer. Quels en sont les nouveaux partis pris ?

Notre dernière refonte est le fruit de notre apprentissage et de notre expérience sur ce réseau. Le Snapchat du Monde repose désormais sur l’incarnation et le face caméra. Chaque information est présentée sous un format vidéo par un journaliste. Nous sommes convaincus de la force explicative et narrative de ce médium. Cela nous permet de développer plus de proximité avec nos lecteurs, mais aussi de démystifier la profession et de mettre en avant le travail journalistique qu’il y a derrière chaque sujet. En plus de l’incarnation, nous conservons du motion design, des illustrations, du texte, etc. pour accompagner l’image et le son. La structure de l’édition reste cependant la même qu’auparavant : nous traitons un premier sujet en profondeur, puis nous présentons plus rapidement un sujet secondaire, lui-même suivi d’un ensemble de brèves qui permettent de résumer l’actualité.

 

Et pour TikTok ? Quelles sont les adaptations de format (techniques et éditoriales) que vous devez mettre en place ?

Comme pour Snapchat, notre approche sur TikTok consiste à adapter la forme aux codes du support. Le traitement de l’information n’est donc pas le même car le public, l’univers et le langage de TikTok sont différents. Sur cette plateforme, l’information est également incarnée mais avec plus de simplicité, d’authenticité et de légèreté. Nous essayons de faire vivre nos informations différemment en fonction du sujet. Les données chiffrées peuvent par exemple être mises en scène grâce à des liquides colorés dans des verres, les frises chronologiques se matérialisent avec des pinces à linge… Nous sommes attentifs à respecter l’esprit « do it yourself » propre à TikTok. Cela peut paraître décalé de prime abord, mais c’est une façon comme une autre de faire passer des idées. Un fois encore, l’adaptation est de rigueur pour aller à la rencontre des jeunes lecteurs.