Etude de cas
Ligue contre le cancer : la publicité au service d’un plaidoyer
Bousculer les esprits pour faire réagir et mobiliser : c’est le parti qu’a pris la Ligue contre le cancer, avec sa campagne « Cher patient, pour votre médicament, merci de patienter ». En alertant sur la pénurie de médicaments, l’association de lutte contre le cancer se positionne en leader d’opinion et recentre le débat sur les conséquences pour les personnes malades. La Suite and Co a accompagné Amandine Courtin, responsable plaidoyers et international pour la Ligue contre le cancer, dans la création et la mise en place de cette campagne coup de poing. Retour d’expérience.
La pénurie de médicaments : une réalité à objectiver
L’accès aux médicaments est l’un des sujets phares de la Ligue contre le cancer, dont la vocation est de défendre les personnes malades. C’est en outre un droit fondamental garanti par les textes en vigueur. En septembre 2019, l’association décide de se saisir du sujet en interne. Soupçonnant que les malades n’étaient pas au courant de cette situation de pénurie de médicaments, elle a lancé une étude auprès de 500 professionnels de santé et malades.
« Notre méthode d’action à la Ligue repose sur l’objectivation des situations. Les positions que nous avançons doivent être robustes et validées par des études en sciences sociales ou en sciences appliquées. C’est ainsi que nous avons procédé pour la question des pénuries. »
Amandine Courtin, chargée de mission plaidoyer à la Ligue contre le cancer
Les données sont sans appel. L’étude menée par la Ligue contre le cancer avec l’institut IPSOS souligne que 74% des professionnels interrogés déclarent avoir déjà été confrontés à des pénuries de médicaments utilisés contre le cancer pendant leur carrière. 60% des oncologues médicaux témoignent d’une augmentation des pénuries depuis 10 ans. Les conséquences pour les malades sont lourdes : au-delà des sentiments négatifs associés chez ces derniers (incompréhension, inquiétude et colère), 75% des professionnels soignants signalent que les pénuries de médicaments utilisés contre le cancer entraînent une perte de chances pour les personnes malades.
« Cher patient, pour votre médicament, merci de patienter » : un porte-voix médiatique puissant
L’un des dispositifs de la stratégie de plaidoyer de la Ligue contre le cancer a été la mise en place d’une campagne média. L’objectif de cette dernière consistait à positionner l’association comme lanceur d’alerte sur le sujet, à créer une vraie prise de conscience, et à recentrer l’attention sur les personnes malades et les problématiques de continuité des soins, et non pas seulement sur les problèmes industriels et les laboratoires.
Les choix créatifs et éditoriaux ont été guidés par l’ADN de la Ligue contre le cancer. L’association est légitime pour représenter les patients et donc s’adresser à eux. La campagne met en avant des visages, de façon directe, sans instrumentaliser la parole des patients. La violence est symbolisée par le scotch sur la bouche du patient. Il existe ainsi un décalage entre le ton bienveillant de l’accroche et la dureté des images qui bousculent, car elles se veulent représentatives de la détresse dans laquelle se retrouvent les personnes malades lorsque leur traitement doit être modifié ou interrompu.
Adapter la temporalité de la campagne aux imprévus
Initialement prévu en février puis en avril 2020, le lancement de la campagne a dû être retardé à cause de la crise de Covid-19. A ce moment-là, la Ligue s’est concentrée sur la protection des personnes atteintes de cancer. Il se trouve cependant que la crise sanitaire a mis en lumière certains problèmes d’approvisionnement et de pénuries médicamenteuses. Ce sujet qui ne concernait a priori qu’un nombre restreint de personnes est tout à coup devenu une source de préoccupation générale. La Ligue contre le cancer a ainsi sorti son rapport au printemps 2020 pour qu’il puisse être utile aux travaux européens en cours, mais a choisi de décaler le lancement de sa campagne publicitaire.
« Pour que nos revendications trouvent leur écho dans l’espace public, il fallait mettre en place cette campagne dans un temps politique cohérent, ce qui, en pleine crise sanitaire, n’était pas chose aisée ! »
Amandine Courtin, chargée de mission plaidoyer à la Ligue contre le cancer
La campagne « Cher patient, merci de patienter » a donc été lancée en septembre 2020. Au-delà de sa volonté d’alerter, elle lançait un appel à témoignages permettant d’accompagner l’étude quantitative d’une analyse qualitative sur le ressenti des patients. Un an après le lancement de la première campagne, en septembre 2021, cet appel à témoignages a fait l’objet d’une deuxième campagne sous la forme d’une bande dessinée, également relayée médiatiquement.
Des résultats probants, et un mot d’ordre : la continuité
Avec cette campagne, la Ligue contre le cancer remplit ses objectifs de visibilité. Particulièrement bien relayée, elle a également encouragé les présidents des comités départementaux de l’association à prendre la parole sur le sujet. La mobilisation de tous fait la force : c’est tout l’objet d’un plaidoyer. Autre preuve que le message est passé : les députés de l’Assemblée ont déposé des amendements sur la question des pénuries, en reprenant les arguments de la Ligue. Si ces derniers n’ont pas été retenus, ils illustrent le succès du travail de sensibilisation réalisé.
Et demain ? Il faut continuer à parler des pénuries de médicaments contre le cancer, notamment en cette période de campagnes présidentielle et législative. Alerter et mobiliser : ce sont les missions de la Ligue contre le cancer et de ses partenaires pour les prochains mois.
Patients, industriels, citoyens, politiques : tout le monde est contre le cancer. Pour Amandine Courtin, ce constat n’est pas suffisant. Il faut chercher le débat pour que des choix économiques, budgétaires et sociétaux soient faits en faveur des malades. La publicité s’impose ici comme un levier puissant pour diffuser un message. Avec la Ligue contre le cancer, elle permet également de participer à l’éducation scientifique du grand public, ce qui, à l’heure de la multiplication des fake news, est un défi sociétal majeur.
