Grand témoin
Optimisme des Français : l’incompréhension de ce que peuvent faire les entreprises demeure
Un peu plus de 40% des Français ne feraient pas confiance à leur entreprise pour comprendre et prendre en compte les évolutions de la société. C’est l’un des résultats marquants de la première édition du baromètre sur l’optimisme réalisé en partenariat avec l’institut Viavoice. Comment expliquer cette situation ? Quelle est la responsabilité des entreprises face à ce constat ?
Arnaud Zegierman et Christian Moisset, tous les deux co-fondateur et dirigeant respectivement de l’institut Viavoice et de l’agence La Suite and Co – MilleSoixanteQuatre, nous apportent leur éclairage sur ces questionnements. Instructif et inspirant !
Seuls 50% des Français se déclarent optimistes concernant la capacité de leur entreprise à les écouter, à prendre en compte les évolutions de la société, les avancées technologiques et les problématiques environnementales. Comment expliquer ce résultat ?
Arnaud Zegierman : Il faut d’abord comprendre que les notions d’optimisme et de pessimisme ne sont pas aujourd’hui fondées sur des arguments précis, mais sur une anxiété globale. Je tiens à préciser un élément clef : l’inverse de l’optimisme n’est pas le pessimisme, mais le fatalisme, et avec lui l’idée qu’il n’y a rien à faire pour que ça change, que les choses sont figées.
“Il y a un manque de grands récits
pour engager les populations.”Arnaud Zegierman
Dans ce contexte, il y a un manque de grands récits pour engager les populations, à la fois au niveau national et de la part des entreprises. Nous sommes aujourd’hui face à une non-compréhension globale de ce que peuvent faire les entreprises.
“Les entreprises ont des choses à dire !”
Christian Moisset
Christian Moisset : Et pourtant, les entreprises ont des choses à dire ! Ce sont à elles de faire preuve de pédagogie et de proposer de vrais récits. La plupart des entreprises n’expliquent pas assez leurs actions à leurs collaborateurs et à leurs clients. Pourquoi ? Tout simplement car c’est technique, compliqué d’un point de vue règlementaire, et qu’il faut consacrer du temps pour expliquer et vulgariser les problématiques, et ainsi les rendre accessibles pour que le plus grand nombre se les approprie. Certains collaborateurs ne sont aujourd’hui pas capables de voir si les efforts RSE de leur propre entreprise sont constructifs ou purement cosmétiques.
Sommes-nous face à une crise de confiance ?
AZ : Depuis une décennie, nous entendons parler de « société de la défiance ». Selon moi, nous voyons, depuis les années 60, disparaitre les corps intermédiaires dans la société. Auparavant, les syndicats, les communautés religieuses, les partis politiques, jouaient un rôle de premier plan. Aujourd’hui, il y a beaucoup moins de représentants entre le citoyen et le président de la République.
“Notre compréhension collective
de la société est très faible.”Arnaud Zegierman
Et surtout, nous ne sommes plus vraiment capables d’expliquer le fonctionnement de notre système. Notre pays fait face à des difficultés d’endettement non négligeables. Nous avons conscience que l’État peut moins qu’avant, mais notre compréhension collective de la société est très faible. La défiance ambiante repose sur beaucoup de méconnaissance.
Est-ce pour cela qu’on attend désormais de l’entreprise qu’elle ait un impact sur la société ?
AZ : Il y a 25 ans, il était communément admis que les questions d’intérêt général ne relevaient pas de l’entreprise. Aujourd’hui nous demandons aux entreprises d’avoir un impact sur la société. Alors que l’État se désengage de nombreux sujets, cette situation va avoir tendance à s’amplifier. Une vision purement lucrative de l’entreprise est désormais dépassée. Écologie, inclusion, rapport hommes/femmes, souveraineté… que cela leur plaise ou non, les questions politiques sont entrées par la grande porte dans les entreprises.
“Les questions politiques sont entrées
par la grande porte dans les entreprises.”Arnaud Zegierman
CM : Tout à fait. Les entreprises doivent aujourd’hui avoir des discours construits, mettre en place des garde-fous et comprendre la société. Aujourd’hui, une entreprise qui n’aurait que des « hommes blancs de plus de 50 ans » au sein de son conseil d’administration sera pointée du doigt par exemple. Et c’est une bonne nouvelle ! Ce n’était pas le cas il y a encore 20 ans…
Vous parlez de changement des mentalités. Quel a été le déclencheur ?
CM : Il n’y a pas un seul point de bascule. Plusieurs questions de société qui avaient été un peu mises de côté ont resurgi avec fracas. Prenons l’égalité des chances, qui fait partie de l’ADN de la France. Les résultats français sont inférieurs à ceux de nos voisins anglais. Si l’école ne joue plus ce rôle d’ascenseur social, est-ce que l’entreprise peut le faire ? C’est ce que propose Uber par exemple, en offrant du travail à des citoyens qui rencontraient des difficultés pour en trouver dans le système classique. Que cela nous plaise ou non, ces discours nous ont bousculés car nous n’avions pas de contre argument.
“La question de l’écologie a
vraiment rebattu les cartes.”Arnaud Zegierman
AZ : La question de l’écologie a vraiment rebattu les cartes. Nous nous sommes collectivement rendu compte que ce que nous faisions au quotidien dans nos entreprises avait un impact sur la planète. En France, on estime que toute activité capitaliste est néfaste pour la planète. On considère souvent que les entreprises sont fautives, et pour autant, ce sont elles qui peuvent être actrices du changement. D’autres pays n’ont pas cette analyse et j’ai la conviction personnelle que certains enjeux écologiques trouveront des réponses par l’innovation. Quelles que soient ses croyances, chacun est amené à questionner l’alignement entre ses valeurs et ses actes. Et c’est ainsi qu’ont émergé de nouvelles attentes à l’égard des entreprises.
Comment les entreprises répondent-elles à ces nouvelles attentes ?
CM : Les résultats du baromètre nous indiquent que les entreprises peinent à embarquer leurs collaborateurs. La problématique est double : elle est à la fois managériale et communicationnelle. Entre les entreprises qui ont un discours de greenwashing et celles qui ont des actions sincères et positives, peu de collaborateurs voient la différence. La communication produit/service est souvent mieux orchestrée que la communication interne… Il est vrai que même si la cohérence de discours est essentielle, on ne peut pas s’adresser de la même façon à un collaborateur et à un client. Ce dernier a besoin de savoir si le produit est responsable, alors que l’employé doit pouvoir comprendre comment il contribue à le rendre responsable, dans une démarche de création de valeur.
“Les entreprises peinent
à embarquer leurs collaborateurs.”Christian Moisset
AZ : Les entreprises oublient souvent que le collaborateur est un ambassadeur… Les démarches RSE demandent un suivi analytique fort, qui a tendance à éclipser la dimension managériale. Or l’état d’esprit, l’engagement, le sentiment d’appartenance, sont des éléments constitutifs d’une marque, et de sa capacité à faire face aux aléas. Prenons l’exemple d’une situation de harcèlement dans un cadre professionnel. Si l’entreprise a mis en place un dispositif d’information et de sensibilisation, une personne ressource et des actions de prévention, l’impact sur l’image de marque sera bien moindre que si elle n’a rien fait. Et bien entendu, cela changera les choses pour les victimes !
“Les entreprises oublient souvent
que le collaborateur est un ambassadeur.”Arnaud Zegierman
Quels sont les autres enseignements du baromètre ?
CM : On découvre surtout que les Français ne sont pas aussi pessimistes qu’on le pense. Ils présentent deux visages en étant plutôt optimistes sur le plan individuel mais préoccupés par les défis collectifs et sociétaux. Contrairement aux idées reçues, les jeunes de moins de 35 ans sont globalement plus optimistes que le reste de la population, tout comme les parents. Les femmes quant à elle le sont moins que les hommes… c’est intéressant car en mesurant l’optimisme, cela offre une lecture des dynamiques de société. Je suis profondément convaincu que le monde de l’entreprise doit être un moteur d’optimisme.
“Mesurer l’optimisme offre une lecture
des dynamiques de société.”Christian Moisset
AZ : L’un des grands enseignements de cette première édition du baromètre est aussi le pourcentage de « je ne sais pas » : entre 2 et 10% pour les questions de cette enquête. Dans les études d’opinion et les sondages, on a tendance à attendre des avis tranchés, et nombre d’entre eux n’offrent pas la possibilité de ne pas répondre à une ou plusieurs questions. Cela arrive régulièrement que les gens n’aient pas toutes les connaissances pour répondre en conscience. Or si l’on caricature trop la réalité, on ne peut pas prendre les bonnes décisions… Ce baromètre apporte de la nuance et des pistes de réflexion intéressantes, notamment pour les entreprises !
Pour découvrir les résultats du baromètre
Arnaud Zegierman est auteur, sociologue et cofondateur de l’Institut d’étude Viavoice qui analyse les grandes tendances de la société française.
https://www.institut-viavoice.com
Christian Moisset est co-fondateur et président de l’agence de communication La Suite & Co – MilleSoixanteQuatre.
https://www.lasuiteandco.com