Coup de projecteur
« Dans une société polarisée, la qualité d’écoute est essentielle ! »
Valérie David-Bellouard, présidente de l’association Agapa
Certaines étapes de la vie des femmes et des hommes se vivent encore trop dans le silence et l’isolement. Pour soutenir les personnes confrontées à un deuil périnatal ou une interruption de grossesse, l’association Agapa a développé plusieurs propositions d’accompagnement. Écoute, entraide et bienveillance sont des valeurs qui nous parlent particulièrement à la Suite and Co / MilleSoixanteQuatre : pour sa newsletter d’été, l’agence a choisi de mettre en lumière Agapa. Entretien avec Valérie David-Bellouard, présidente de l’association.
Depuis 1994, Agapa propose un espace d’écoute à celles et ceux qui souhaitent parler de leur souffrance à la suite d’une interruption de grossesse ou d’un deuil périnatal. En 30 ans, avez-vous vu les mentalités évoluer ?
Oui, même si le chemin est encore long, les enjeux des parcours de vie des femmes (dont font partie le deuil périnatal ou les arrêts de grossesse) sont de moins en moins tabous dans l’espace public et en entreprise.
« Dans le cas d’un deuil périnatal, l’une des difficultés
est que le bébé n’entre pas dans le champ social. »Valérie David-Bellouard
Ce qui caractérise le deuil périnatal (qu’il intervienne pendant la grossesse ou lors de la 1ère semaine de la naissance), c’est que le bébé ne rentre pas dans le champ social. Vivre un deuil est toujours difficile. Ça l’est particulièrement quand la personne décédée n’est pas socialement reconnue, et qu’il n’y a pas de souvenirs communs pour l’entourage. Ces situations sont longtemps restées dans l’ombre.
De même, on a coutume de dire qu’il n’est pas recommandé pour une femme d’annoncer sa grossesse avant trois mois. Les souffrances liées aux fausses couches se vivent ainsi dans une intimité resserrée, ce qui peut être difficile pour certaines personnes.
Dans le parcours Agapa, une attention particulière est portée à l’arbre généalogique de la personne. Il arrive que des femmes d’une lignée soient marquées par des interruptions naturelles de grossesse. Il est alors important de questionner cet héritage pour mieux comprendre et accueillir sa douleur.
Globalement, l’entourage a souvent du mal à trouver les mots et à accueillir les souffrances des amis ou de la famille. Certaines phrases toutes faites se veulent rassurantes, mais peuvent heurter les parents endeuillés. Petit à petit, la prise de conscience de la société se fait. Nous espérons vraiment que le travail de nos bénévoles écoutantes participe à ce changement des mentalités.
« On a souvent du mal à trouver les mots et
à accueillir les souffrances de nos amis ou de notre famille. »Valérie David-Bellouard
A la base de votre action, il y a l’écoute. Pourquoi est-ce essentiel ?
Chaque expérience est unique et singulière. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de souffrance.
Dans ces cas-là, mettre en place une écoute active est crucial. Il faut pouvoir se mettre au rythme de la personne, sans penser ni faire à sa place. Il n’est en effet jamais aisé d’accueillir une situation sans projeter sa propre expérience ou ses propres émotions. Or, c’est là tout l’enjeu.
Concrètement, il s’agit d’oser demander à la personne ce dont elle a besoin. Particulièrement dans l’accompagnement du deuil, la qualité de la présence est importante pour que l’individu puisse cheminer en toute confiance. Il faut donner à l’autre de l’espace, du temps, de l’écoute… A l’heure où notre société a tendance à se polariser et à prôner l’individualité, ce sont des qualités qui sont plus que jamais nécessaires !
Comment est née l’association ? Quelle est sa raison d’être ?
Tout a commencé en 1994. Certains de nos premiers bénévoles ont identifié, dans un contexte de soins palliatifs, une lacune d’accompagnement de la souffrance liée aux situations d’interruption volontaire de grossesse (IVG). Cette douleur poursuivait parfois les femmes jusqu’à leur dernier souffle. L’IVG a beau être souhaité par les femmes, il peut générer une souffrance qui est souvent tue, voire honteuse. Agapa est née de cette volonté : celle de proposer un espace d’échange et d’écoute apaisé, sans jugement, à celles et ceux qui souhaitaient parler de l’IVG qu’ils avaient vécue, et de cette souffrance indicible.
Progressivement, de nouvelles personnes sont venues vers l’association : des individus touchés par d’autres types de grossesses interrompues, accidentelles ou médicales, ainsi que des parents vivant un deuil périnatal.
« Agapa propose un espace d’échange et d’écoute apaisé, sans jugement. »
Valérie David-Bellouard, présidente de l’association Agapa
Concrètement, quel(s) accompagnement(s) propose Agapa ?
A chaque personne qui se présente, nous proposons un entretien d’accueil. Ce premier échange peut déboucher sur un parcours d’accompagnement individuel qui se déroule sur 18 séances avec l’une de nos écoutantes, parcours élaboré par des psychiatres et psychologues. L’objectif est de replacer ce que traverse la personne dans son histoire de vie, pour l’aider à accueillir et traverser sa souffrance, et à se relever.
Agapa propose également des groupes de parole sur un temps long, dans lesquels nous voyons se développer une vraie entraide entre les participant·e·s. Enfin, des cafés-rencontres, plus ponctuels, ont vu le jour ces dernières années. Ils permettent aux personnes d’échanger sur une expérience donnée : celle du deuil périnatal, du retour à l’emploi ou encore du positionnement en tant que proches.
Concrètement, en 2023, nous avons reçu 613 personnes en entretien individuel, et nos 65 bénévoles ont réalisé plus de 3400 heures d’écoute. Nous avons des antennes à Paris, en région parisienne et dans plusieurs grandes villes (Lyon, Marseille, Bordeaux, Nantes…). Nous proposons tous nos accompagnements en visio-conférence pour toucher un plus grand nombre de personnes.
La mission d’Agapa ne se limite pas à l’accompagnement. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui, au-delà de l’accompagnement des personnes, nous avons deux autres grandes missions : la formation des professionnels de santé et la sensibilisation de la société. Nous délivrons ainsi des formations à l’accompagnement au deuil périnatal directement dans les hôpitaux et les maternités, ou dans le cadre de formations interprofessionnelles. Agapa développe aussi des groupes de parole spécialement destinés aux soignants pour qu’ils puissent eux aussi exprimer leur souffrance. Nous formons également les DRH pour accompagner le retour à l’emploi en entreprise après une situation de deuil périnatal.
En matière de sensibilisation, l’association s’est positionnée, au fil des années, comme un acteur de référence sur tous les sujets du deuil autour de la grossesse. Agapa est par exemple régulièrement consulté par les commissions à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Parallèlement, nous nous appuyons sur une communication forte (réseaux sociaux, newsletter…) pour sensibiliser la société aux souffrances liées à ces différents deuils. Nous prenons également part de façon très active à la journée mondiale du deuil périnatal du 15 octobre.
« Au fil des années, Agapa s’est positionné comme un acteur de référence sur tous les sujets du deuil autour de la grossesse. »
Valérie David-Bellouard
Agapa fonctionne grâce à l’engagement de bénévoles à tous les niveaux de l’organisation. Quels leviers permettent aujourd’hui de susciter leur intérêt et leur mobilisation ?
L’association repose en effet sur l’engagement sans faille de ses bénévoles ! La formation à l’écoute est longue, engageante et continue. Après un premier entretien, chaque bénévole suit une semaine de formation, un parcours complet de 18 séances, une période de double écoute, une supervision régulière, une analyse de pratique et une formation continue.
On n’arrive pas à Agapa par hasard : les bénévoles s’engagent souvent parce qu’ils ou elles ont été sensibilisé·es d’une façon ou d’une autre au deuil périnatal ou à l’interruption de grossesse. Chaque année, ce sont entre 10 et 15 personnes qui se présentent spontanément pour devenir bénévole. Le bouche-à-oreille est notre premier levier de recrutement.
« Le bouche-à-oreille est notre premier levier de recrutement. »
Valérie David-Bellouard
Comment les actions d’Agapa sont-elles financées ? Quelle stratégie de recherche de fonds mettez-vous en place ?
Si nous recevons des subventions, nous sommes en permanence à la recherche de dons pour garantir notre indépendance. Nous mettons ainsi en place des campagnes d’appel aux dons auprès de nos donateurs réguliers et de potentiels soutiens. Nous avons également la chance de bénéficier d’initiatives individuelles (sportives, entrepreneuriales…) qui nous apportent un précieux soutien financier.
Actuellement, nous avons une lettre destinée aux donateurs habituels, une newsletter trimestrielle et une communication régulière sur notre site et nos réseaux sociaux. Nous sommes en train de structurer davantage nos outils pour optimiser et diversifier nos sources de financement.
C’est ainsi que nous pourrons continuer à soutenir les personnes en souffrance. J’ai conscience qu’il s’agit d’une quête sans fin, mais Agapa et son remarquable réseau de bénévoles apportent leur pierre à l’édifice : l’association peut en être fière !
Agapa
Créée en 1994, l’association « Agapa » soutient les personnes confrontées à un deuil périnatal ou une interruption de grossesse, quelle qu’en soit la raison : arrêt naturel de grossesse (fausse couche), mort fœtale in utero, grossesse extra-utérine, interruption médicale de grossesse, IVG, réduction embryonnaire…
Parcours individuel, café-rencontre et/ou groupe de parole, les accompagnements s’adaptent aux besoins de chaque personne. L’association propose aussi des formations à destination des soignants et des DRH en entreprise.
Pour en savoir plus : https://association-agapa.fr
A vous de jouer : comment aider Agapa ?
Faire un don → https://association-agapa.fr/nous-aider/
Devenir bénévole → https://association-agapa.fr/nous-aider/#devenir-benevole
Faire connaître l’association → https://association-agapa.fr/nous-aider/#faire-connaitre-agapa