Grand témoin
« Avec le social selling, c’est l’ensemble de la relation sociale qu’il faut marketer »
Patrick Barrabé
Dès 2007, Patrick Barrabé théorisait le social selling dans un livre blanc « Business Social Networking » (co-écrit avec Eric Herschkorn). 15 ans après, il nous apporte son regard et ses réflexions sur l’état actuel de la prospection et de la vente à l’ère des réseaux sociaux.
Entretien avec un expert pour tout comprendre sur les enjeux du social selling pour les entreprises et les marques !
Que dire de la prospection commerciale B2B à l’heure des réseaux sociaux ? Quelles sont les tendances actuelles ?
Vaste sujet ! Tout d’abord, je ne crois pas qu’il faille encore séparer le B2B du B2C. La frontière entre vie professionnelle et vie personnelle n’est plus aussi marquée qu’auparavant. Il y a désormais une vraie porosité, surtout sur les réseaux sociaux. Scroller, liker, commenter, partager, font partie du quotidien des individus, qu’ils soient dans un cadre de travail ou pas. C’est là qu’intervient le social selling, qui n’est autre qu’une intégration des services des réseaux sociaux dans le développement et la gestion de la relation client et partenaire. On ne peut pas vraiment parler de tendance, car l’idée même du business social est présente depuis près de 15 ans maintenant.
En revanche, parler de prospection commerciale B2B aujourd’hui, c’est interroger non pas la mécanique qui a peu évolué, mais les méthodes, supports et canaux du discours. L’enjeu principal reste la création d’un lien de confiance, qui va bien au-delà de la génération d’un lead ou de la complétion d’un formulaire en ligne. Oublions le marketing d’un produit ou d’un service, marketons une relation sociale.
« Oublions le marketing d’un produit ou d’un service, marketons une relation sociale »
Patrick Barrabé
Dans ce contexte, quels sont selon vous les grands enjeux pour les entreprises et les marques dans leur approche de la vente ?
C’est là que cela se complique. Mettre en place une approche commerciale performante sur les réseaux sociaux passe forcément par davantage de transversalité. Selon moi, l’équipe de choc pour des ventes efficaces est constituée d’un vendeur, d’un spécialiste marketing (avec une connaissance pointue des réseaux sociaux) et d’un informaticien dédié au vendeur. Sales, marketing, IT : l’enjeu des entreprises aujourd’hui consiste à (enfin) réconcilier ces trois départements. Or n’oublions pas qu’aujourd’hui dans les entreprises, le fonctionnement en silos reste la norme. J’ai tendance à croire que les mentalités changeront avec les générations, lorsque nous verrons arriver à la tête des services commerciaux, des collaborateurs formés par des managers qui font de la collaboration marketing-sales une priorité.
« Le principal enjeu des entreprises consiste à (enfin) réconcilier les ventes, le marketing et l’IT. Et croyez-moi, ce n’est pas si évident ! »
Patrick Barrabé
Autre enjeu important : la capacité des entreprises à capitaliser sur les outils digitaux existants et à adapter leurs pratiques marketing et commerciales à l’écosystème numérique, pour générer des leads en masse. La plupart des plateformes sociales (LinkedIn, Facebook, Instagram…) ont développé des outils puissants pour cela, souvent avec des formations gratuites. Seul bémol : ils sont aujourd’hui assez peu utilisés par les équipes. Allons-y, utilisons les ressources mises à notre disposition ! Et ce, dans la durée. Effectivement, il ne faut pas craindre la quantité de contacts que peuvent engendrer les campagnes digitales. Plutôt que de fermer les vannes par peur de ne pouvoir traiter les demandes, les entreprises doivent mettre en place un système efficace pour trier et qualifier les leads. C’est ainsi seulement qu’elles pourront passer dans une autre dimension commerciale.
Quel est l’impact du social selling pour les forces de vente ? Est-ce une révolution, une évolution ou finalement un retour aux sources pour les commerciaux ?
Finalement, le métier de vendeur reste le même. Ce sont les outils qu’il utilise pour créer la confiance et entretenir la relation qui évoluent. Dans l’imaginaire collectif, un vendeur ne peut bien faire son travail que s’il est sur le terrain, au contact des clients. Or, le terrain a changé. En 2022, un vendeur peut être extrêmement performant en restant derrière son ordinateur.
Ces dernières années, on a cru pouvoir remplacer les vendeurs par des business developers. Si le travail d’avant-vente, d’entretien et de développement de comptes reste essentiel, c’est un leurre de penser que l’on pourrait se passer du talent d’un vendeur. Son rôle est primordial car c’est lui qui, dans la relation qu’il entretient avec le client, va être capable de déceler quand ce dernier sera prêt à évoluer vers une autre offre. Il faut du relationnel humain pour identifier les signaux faibles. C’est d’autant plus vrai sur les réseaux sociaux qui privilégient le one-to-one.
Concrètement, quels conseils donneriez-vous aux entreprises pour tirer pleinement profit du social selling ?
Il faut redonner au métier de vendeur ses lettres de noblesse… sur les réseaux sociaux. C’est-à-dire qu’il faut capitaliser sur les individus que sont les vendeurs, mais aussi sur tous les collaborateurs de l’entreprise : construire leur légitimité, leur permettre de développer une vraie relation avec leur communauté, et créer un écosystème au sein de l’entreprise. Prenons l’exemple d’une entreprise qui propose des prestations intellectuelles dans l’IT. La cible finale chez le client sera la personne en charge du recrutement des consultants, souvent le DRH ou directeur des opérations. Il faut donc que le DRH de l’entreprise initiale soit identifié par le client final et puisse entrer en contact facilement avec lui, pour échanger sur un sujet, lui rendre un service ou donner un conseil. Le vrai social selling consiste à mettre face à face les mêmes métiers de différentes entreprises, au travers des réseaux sociaux.
« Un DRH parle aux DRH, un directeur des opérations à ses homologues, et ainsi de suite. Le social selling, c’est mettre en relation, sur les réseaux sociaux, les différents métiers de l’entreprise. »
Patrick Barrabé
Concrètement, cela implique la mise en place d’une chaîne de production de contenus sur les réseaux sociaux, pour construire la légitimité des prescripteurs au sein de l’entreprise. Cela passe par davantage d’incarnation. Il faut accroître la personnification des individualités sur les réseaux. Les services marketing et communication doivent aussi être en mesure de faire des vendeurs des stars de la communication. Formez vos vendeurs, faites-leur faire du théâtre, incarnez et personnifiez les relations commerciales !
Et demain ? Comment envisager l’avenir de la prospection commerciale sociale en B2B ?
Malheureusement, je trouve que depuis plusieurs décennies, les entreprises ne savent plus prévoir. Elles se contentent de réagir, au covid, à l’inflation… Les réactions à court terme ne permettent pas de transformer en profondeur les usages dans l’entreprise. Or, pour qu’elles puissent profiter pleinement de toutes les opportunités qu’offre le social selling, les entreprises doivent opérer un vrai changement de paradigme. J’espère sincèrement qu’elles vont (enfin) se saisir de ce sujet essentiel !
Patrick Barrabé est consultant, conférencier et microsociologue.
Ses sujets de prédilection sont le marketing, la vente, l’innovation, le management et la communication.